11.6.11

APRES la course A l'EMPLOI, la course A la PRECARITE

 C'est en passant en revue une liste de blogs, une tasse de thé brûlante à la main, que je me suis réveillée en lisant ceci:



Elle s’appelle Laura. Après un Bac L brillamment obtenu, elle a choisi de poursuivre ses études en classe préparatoire : Hypokhâgne et Khâgne, « la voie royale » lui disaient ses professeurs. N’ayant pas réussi à intégrer Normale Sup, elle a poursuivi ses études par un Master de lettres (Bac +5) puis, pour compléter sa formation théorique par un diplôme plus « opérationnel », plus « proche des besoins des entreprises », elle a décroché à 24 ans un Master d’édition.
        droits image: Charb
En résumé, un très bon parcours d’études supérieures, à l’issue duquel Laura devrait raisonnablement espérer un « job » à la    hauteur de ses compétences et du niveau de sa formation.
C’est là que tout se gâte : depuis 3 ans, l’univers professionnel de Laura se compose d’une succession de stages ou de CDD rémunérés entre 1 400 et 1 700 € bruts par mois.

La suite à lire ici 





J'ai failli en avaler de travers mon earl grey thé vert, aromatisé bergamote. Laura c'est moi, Laura c'est nous: une bonne partie de ces ex-khâgneux de province, vivotant à droite et à gauche, dans le meilleurs des cas de cours à domicile, de vacations auprès d'établissement de l'Education Nationale, d'emplois de serveuses dans des cafétériats ou mieux des brasseries chics de l'hyper centre, de baby-sitting qui permettent de payer les prépas aux concours (prof, orthophonistes, fonction publique, et j'en passe) et au pire de distribution de tracts sur la voie publique, à la criée pour compléter le RSA que la CAF veut bien nous octroyer.

Le post, écrit par © La Lettre du Lundi date de 2009, et pourtant, il pourrait tout à fait coller malheureusement à la vie de nombreux étudiants sortis du système universitaire, éreintés mais victorieux, pleins d'espoir et de dynamisme, prêts à en découdre avec le marché du travail pour se prouver des choses, faire honneur en la confiance et au soutien placés en eux par leurs parents tout au long de leurs études.... Et à la sortie, c'est la douche froide...

Certes ces étudiants surdiplômés, Bac + 5 à 8, semblent avoir acquis des savoir faire théoriques, mais peu d'employeurs sont enclins à leur laisser leur chance. Pour la bonne et simple raison, qu'il y en a bien d'autres, certes moins diplômés, qui eux aussi, souhaitent faire leur preuve. Alors à poste égal, on préfère prendre une autre personne. Ou alors, on propose un stage à l'essai...et c'est ainsi que s'enchaîne pendant un temps la spirale de la précarité...un temps...Enfin puisse se temps se résorber!

L'analyse de la lettre du lundi est très juste parce qu'elle donne au phénomène de renversement de l'ascension sociale et professionnelle un éclairage à la fois sociétal, économique et politique. Je ne saurais que trop vous recommander de le survoler.
Toutefois, il estime que politiquement cette nouvelle classe "déclassée" de jeunes urbains aurait tendance à glisser à gauche. Pour ma part, je crains que le matraquage télévisuel et la stagnation du chômage aidant, ils soient aussi tentés de voter extrême droite, et qu'une vague bleu marine, plébiscitée non plus seulement par les personnes d'un certain âge et à faible capital culturel, nous submerge en 2012.

J'aime bien me faire peur me direz-vous. 

Mais j'entends quand même de la bouche de ces mêmes ex-camarades de promo des propos qui me glacent le sang, "sur l'invasion de tous ces immigrés qui nous volent nos travail". "La France ne peut après tout pas accueillir toute la misère du monde! Elle a déjà bien assez à faire avec les pauvres de l'intérieur. Il faudrait tous les renvoyer chez eux!"
Quand je fais remarquer à certains, que ces mêmes immigrés ont tout de même grandement contribué à la grandeur de la France, à l'édification et à la construction de grands ensemble, à l'exécution de tâches ménagères ou de travaux pénibles que les "bons" français ne voulaient pas réaliser, et qu'après tout si je suis leurs raisonnements, il faudrait expulser manu militari mes propres parents arrivés il y a plus de 30 ans en France, je me vois répondre que ce n'est pas si grave et qu'ils pourront retourner facilement dans leur village natal avec l'argent économiser ici, et que de toute façon, je cite: 

"Bah, c'est pas pareil, toi, tu n'es pas noire"

J'ai failli m'étouffer (oui, encore une fois, je suis le genre de filles qui a du mal à déglutir) sur cette dernière phrase. Si je ne suis pas noire, je suis quoi? "une fille d'immigré guatémaltèque"?

Alors c'est donc ça? Comme j'ai fait des études, que je ne ponctue pas chaque fin de phrase de "tchiiip", ne porte pas de boubous ou de couleurs bariolées, n'ai pas d'accent particulier, fais des phrases avec des subjonctifs 2, n'ai pas la peau "noire charbon", les gens, certains de mes proches, ont fini par "gommer" ma couleur. Je ne corresponds en effet pas au stéréotype qu'ils se font du Noir, de l'Africain. Et ils ont tôt fait de me ranger dans la catégorie des "sans couleur", ou plutôt ils veulent croire que j'ai du sang "européen" dans les veines. Nulle autre explication ne saurait être, à leurs yeux, plausible. L'intégration (même si j'ai ce mot en horreur), pour eux, n'est qu'une vaste fumisterie inventée par des sociologues. Il y a les blancs d'un côté, les noirs de l'autre, et puis entre les métisses qui ont presque réussi à se hisser au rang des blancs, dont ils adoptent docilement les codes...

"Comment ça pas noire?"

Silence gêné de  10 secondes

"Bah oui. Toi, regarde-toi, tu n'es pas noire! Regarde ta peau, tu n'es pas noire-noire. Tu es métisse, non? Et puis tu n'as pas d'accent, tu parles normalement"

"Non, mes deux parents sont noirs"

"Ah bon? c'est vrai?" Moue circonspecte." Je n'aurais pas cru..tu ne fais pas..."

Et je vous laisse imaginer la suite de la conversation.

C'était il y a plusieurs mois déjà, mais ces petites phrases me hantent. Je me suis interrogée sur l'image que je véhiculais, et me suis dit, que ces amis n'en étaient finalement pas vraiment. Et que je faisais peut-être partie pour eux de "la caution noire" comme dirait si bien Ugly Sally (lire le post).


Et en y réfléchissant, et en prenant un peu de hauteur, j'en suis aussi venue à me dire que non seulement la précarité assombrissait l'horizon d'avenir, mais qu'elle obturait aussi l'ouverture d'esprit de certains surdiplômés.
Las de chercher frénétiquement du travail, de dépenser une somme d'énergie folle tout ça pour être recalés et ne pas recevoir de réponse ne serait-ce que négative aux candidatures ennvoyées, ils en viennent, fatigués de se remettre en cause, à vouloir trouver à l'extérieur un bouc-émissaire. Alors quand la crise ne suffit plus, ni même la mondialisation, ni l'organisation même du travail, on tourne la tête vers la vermine à la peau chocolat, nouille asiatique ou jaune boulgour.

La pauvreté induit une fragilisation et une précarisation intellectuelle, elle fait fructifier les clichés et les replis identitaires, même chez les soi-disant plus dotés intellectuellement. Ou elle est peut-être un révélateur de connerie, qu'exploitent allègrement nos classes politiques (comme Wauquiez se prononçant sur le fait que les bénéficiaires des minimas sociaux étaient le cancer de la société française).

La précarité nous détruit moralement, que l'on soit ouvrier, femme de ménage, diplômé Bac + 5 au chômage...et ça, ça n'est pas prêt de s'arrêter.


Service Civique, Contrat Unique d'Insertion, CDD, Intérim, Stage à temps plein rémunérés à 30% du Smic, travail au noir, Intermittents, CDD d'Usage vont encore nous faire valser sur le marché de l'emploi pendant quelques temps!

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