9.9.11

Pour en finir avec la Pédophilie institutionnalisée


          Alors que Présumé Coupable, premier film qui évoque l'affaire Outreau sort en ce moment en salles, et que l'on reparle un peu de pédophilie et d'accusation calomnieuse, je préfère déserter les salles obscures et me plonger dans un livre. Mais pas celui d'Alain Maréceau, huissier de justice, mêlé à l'affaire pour avoir été accusé à tort d'actes répréhensibles, et interprété dans le film par Philippe Torreton, dont beaucoup s'accordent à saluer la performance


         J'ai choisi la prise directe avec une affaire tout aussi incroyable, sur laquelle revient probablement pour s'en libérer Jean-Yves Cendrey, que j'ai d'abord appris à connaître pour être à la ville l'époux de Marie Ndiaye, Prix Goncourt pour Trois Femmes Puissantes.

        Dans les Jouets Vivants, le lecteur est aspiré, dans l'effroi et l'horreur. Jean-Yves Cendrey retrace la chronologie d'un drame sans nom, où un instituteur a détruit et brisé l'innocence de dizaine d'enfants pendant 30 ans, en se livrant impunément à des actes de torture et d'agressions sexuelles sur mineurs. Cendrey réussit à nous immerger dans l'atmosphère du bocage et de la médiocrité normande, où la bêtise crasse n'a de cesse de côtoyer l'immobilisme et les faux semblants.

         Ce récit fictionnalisé (je préfère ce terme à autofiction, car je trouve qu'ici, il n'a pas sa place) réussit le tour de force d'éviter les écueils de bons nombres de romans opportunistes dont l'objet est de livrer les dessous d'affaires scabreuses, à grand retentissment médiatique. Ici Cendrey ne cherche pas la gloire, juste l'authenticité et la libération. C'est d'ailleurs, à mon sens, la raison pour laquelle, il use d'un prête-nom Raoul Rose pour compter une partie de l'histoire, à savoir celle de l'antichambre du drame, la plus reculée des campagne normande. Il brosse des portraits au vitriol de personnages tristement banals, mais également incroyablement mesquins et pathétiques. Bien qu'on connaisse l'issue tragique du récit, on ne peut s'empêcher de pouffer de rire ou de s'esclaffer dans ce récit imbriqué intitulé "sa vérité par Raoul Rose" (P. 69 à 227) tant sont judicieusement restitués les caractères de certains et certaines. On flirte parfois avec Maupassant et Flaubert, dans la restitution des dialogues et des accents.

           La "vérité de Raoul Rose" est encadrée par deux parties tout aussi complémentaires à savoir "le cimetière des fous", qui fait office d'introduction sur la vie et l'homme Cendrey, son enfance malheureuse émaillée par les coups de son père, sa révolte et ses errements avant de s'établir dans le village de X, qui sera le cadre des évènements - mais également " le Procès", où toute la lumière essaiera d'être faite sur les agissements de l'Enseignant. Cendrey après une investigation minutieuse réussit en 2001 à confondre l'Enseignant, et le faire l'accompagner, sans résistance aucune, à la gendarmerie pour être livré à la justice et payer pour ses forfaits.

              Ce qui est frappant, pour moi, dans ce récit, c'est la prouesse réalisée par Cendrey qui est  de ne pas tomber dans le témoignage sordide, ni dans le récit de mythification où il pourrait s'auréoler de la posture du justicier et d'homme providentiel. Il reste à sa juste place, à savoir celle d'un homme qui n'a fait que son devoir, et que l'injustice et l'ignominie des faits n'a fait que révolter. Il s'est imposé d'écrire le récit à la 3e personne du singulier, ce qui participe à un effort de distanciation. Il ne nomme expressément personne: l'instituteur coupable ne sera jamais désigné autrement que par le substantif "l'Enseignant", et les faits, les lieux et les hommes ne sont eux aussi nommés que sous des appellations génériques. Il y a, je pense, un souci de pudeur,  et d'obligation légale, mais cela produit également le sentiment que cette tragédie ordinaire pourrait se (re)produire, se dérouler dans n'importe quel endroit dans l'Hexagone, si nous ne sommes pas assez vigilants. Si le silence l'emporte sur les mots, alors il faut lire Cendrey et passer le tissu des plaies enfantines à d'autres. Le récit de Cendrey est en effet une énigmatique parenthèse qui donne envie d'en savoir plus sur son oeuvre.

Sa prose est belle, pour un sujet qui ne l'est pourtant pas. 
Il transcende l'évènement pour faire de la littérature, tout simplement.

               Pour ma part, j'ai eu à plusieurs reprises, à la lecture de ce récit les larmes aux yeux, devant tant d'hypocrisie et de lâcheté de la part des différents protagonistes adultes de l'histoire, cette fois-ci réelle, et qui aurait du tirer la sonnette d'alarme. Les rouages d'une justice embarrassée et aveugle, d'une éducation nationale complice étaient assez bien mis en lumière avec les personnages de la Directrice, de la Collègue, de l'Inspecteur d'Académie, de la Psychologue scolaire...et j'en passe. J'ai été ulcérée par la négation et  l'incrédulité et l'aveuglement dont ont fait preuve beaucoup alors que les preuves s'accumulaient. 

Tant de silences et de murmures gênés pour tant d'enfants aux vies et à l'innocence sacrifiée.

             Ce récit est vraiment touchant et troublant car il s'attaque à un tabou social, à savoir les crimes commis par abus de pouvoir et d'autorité sur mineurs...et sur la semi-banalisation des faits. Tout le monde s'accorde à dire que c'est atroce, mais ça l'est tellement que ça ne peut se produire à nos portes, mais dans des contrées lointaines, ailleurs, loin, très loin à la fois dans le temps et l'espace...

           Et plus que tout, le personnage de l'Enseignant m'a horrifiée, par sa bassesse et son absence de dignité à reconnaître sa culpabilité et la souffrance infligée à toutes ses vicitmes. Sa persistance à se draper derrière sa fonction, et son devoir rendent presque impossible réhabilitation et déculpabilisation pour les victimes, du moins celles qui ont osé parlé.


             Je remercie Mr Cendrey, si un jour il tombe sur ces lignes, pour son livre, et pour avoir réussi à briser la loi du silence, et redonner la parole aux victimes. Peu nombreux sont celles et ceux qui ont le courage de mener de telles entreprises jusqu'au bout pour le bien des enfants. Je remercie pour la littérature quand elle montre les failles et les perversités quotidiennes de l'être humain. La littérature qui permet d'exister au delà de la souffrance et de la honte. La littérature qui permet aussi d'ouvrir sur des mondes plus beaux, des mondes d'amour et de paix retrouvée.


Si vous voulez voir/écouter une critique des Jouets Vivants, c'est par ici
Si vous voulez lire une autre vision du travail de Cendrey sur Rue 89, c'est par là


PS: j'ai lu et dévorer Les Jouets Vivants en 2 jours, tant il m'était impossible de m'en séparer. Je vous en recommande donc vivement la lecture, et je souhaiterais partager avec vous vos impressions. En attendant, je vais le prêter à quelques amis également librophages!


Les Jouets Vivants
Jean-Yves Cendrey
Editions de l'Olivier/Le Seuil, 2005
317 pages

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