9.9.11

#3# Délires: Noire, la couleur de ma peau blanche


Un livre intense et magnifique sur la négritude...Un ouvrage brillant, bouleversant. Pour toutes les personnes intéressées par l'écriture. Par la race. Par les relations humaines.
                                                   Women's Review of Books

      Ce livre fut une rencontre des plus fortuites, au beau milieu des rayonnages d'une bibliothèque d'été sur le point de fermer ses portes. Ce fut un peu la rencontre de la dernière chance, de l'improbable. Mais j'ai presque aussi eu le sentiment de dénicher un petit trésor. Et au moment où j'ai refermé cet ovni sur ses dernières pages, ce sentiment n'a fait que croître en moi.


       Pendant quelques années, j'ai caressé le projet de faire une thèse sur le thème de l'image de la Femme Noire dans la littérature française. C'était pour moi, une façon de rendre justice et de rendre hommage aux femmes, dont on écorne souvent l'image, pour en faire des poupées faciles, des incubateurs tout juste bonnes à enfanter, à perpétuer le sacro-saint pouvoir de ces messieurs. Et puis souvent, des objets de plaisir, à la tête bien creuse et aux hanches bien pleines. J'ai du, malheureusement, me rendre à l'évidence: il allait être très compliqué de s'affilier à un directeur de thèse et surtout de trouver des financements pour ce genre de sujets.
           J'ai donc plus ou moins fait le deuil de ce projet, en tout cas dans le cadre du domaine académique et universitaire. Je poursuis néanmoins mes recherches et continue à lire sur ce thème, même si je dois bien l'avouer, je suis moins assidue.
         J'ai longtemps désespéré de trouver des fictions, essais, écrits par des femmes sur des femmes...Et là, est apparue Marie Ndiaye, et je suis tombée, littéralement sous le charme et l’envoûtement, de son personnage civil et des personnages de papier qu'elle créé au fil de ses romans et de ses pièces.

Et parfois, il m'arrive de lire des auteurs plus confidentielles telle TOI DERRICOTTE.


L'auteur

Avant de tomber sur un de ses livres, je ne savais rien d'elle. Je vous livre ici quelques bribes d'éléments biographiques:
Toi naît en 1941 dans le Michigan
Elle est depuis 1984 professeur de littérature anglaise à la New York Univerisity
Sa production oscille entre fiction et surtout poésie depuis les années 1970.
A l'aube des années 2000, elle fait paraître et éditer Noire, la couleur de ma peau blanche, qui est un récit autobiographique fait de réflexions, de souvenirs sur la dépression et la souffrance qui l'habite du fait d'être entre autres, Noire parmi les Blancs.


 Le récit

      Si l'on veut être exacte et fidèle au bouquin, il serait plus juste de préciser que de Noire, elle est plutôt métisse. Et c'est justement là que réside toute la force de ce récit autobiographique sur l'altérité et l'aliénation. La narratrice a souvent le sentiment d'être sur le point d'être démasquée, à la fois par les Noirs, mais tout autant par les Blancs. Son physique, en effet, lui permet de se glisser facilement dans la peau d'une blanche, et d'être prise à témoin dans des débats racistes et négrophobes. Mais cela se révèle, pénible, un fardeau, dont elle aimerait pouvoir bien souvent se départir. Elle est tout autant accablée et presque honnie et enviée par des personnes à la peau ébène. 
           Elle se sent perpétuellement menacée et sur une corde raide, pouvant être précipitée à la fois dans la colère sans fin de personnes à la peau foncée, mais également submergée par le mépris et la peur de blancs.
Ce livre est saisissant, car c'est aussi le journal, l'accompagnement d'une thérapie de reconstruction de soi. La narratrice est en effet tiraillée par des sentiments très ambivalents sur sa volonté d'être acceptée et de passer inaperçue  au sein d'un groupe de blancs, et sa rage de reconnaissance en tant que femme de couleur.

    Elle dit beaucoup de ce que peuvent ressentir, je pense, bon nombre de jeunes issus de l’immigration, qu'ils soient ou non métisses. Sa plume, fine et sensible, accroche et décortique des sentiments qu'on a d'habitude peine à reconnaître et à assumer. Sans fard, et sans fausse pudeur, elle va jusqu'au bout de sa haine de soi, et de l'autre. De sa difficulté à rentrer en contact, de façon authentique, avec autrui, et de réellement communiquer.

         J'ai trouvé sa démarche incroyablement courageuse et kamikaze. Elle n'épargne personne, pas même, elle-même. Elle réussit à dépasser sa propre situation pour mener une réflexion de fond sur le courage d'être soi, les racines du racisme, et l'amour.

           Je recommande ainsi à des milliers de jeunes femmes de lire ce livre. Pour essayer de comprendre peut-être les blessures qu'on a au fond de soi.
Ce n'est pas une ode au métissage, et il n'y a pas de "happy end" ici. Juste une envie de communication et de reconnaissance. Il n'y a pas de haine ou de mal plus enraciné et plus fort que celui qui ne dit pas son nom.


      A l'heure de l'ode à la beauté noire mais pas trop (remémorez-vous le nom et le visage des chanteuses à succès, des mannequins et autre étendard des canons de la beauté), des cancers de la peau dus au blanchiment, des démarches marketings un peu douteuses, il est vital de se dire, que la paix et la réconciliation avec son apparence, mais également avec son être profond sont ce qu'il y a de plus important. 


Morceaux choisis

             Quand je suis avec Bruce, je me sens noire, comme si j'étais prise par sa négritude, comme si elle tombait sur moi, comme si elle me recoouvrait d'une ombre puissante. Peut-être que nous devenons les choses que nous aimons, et j'ai peur que cela se voie. Mais il y a une autre raison. Une partie de moi préfèrerait être perçue comme une Noire mariée à un Noir que comme une Blanche mariée à un Noir.  (P 49)

C'est la réalité écrasante que je dois endurer. Chaque fois que je parcours des rues en voiture et que je ne vois que des Blancs, chaque fois que je ne remarque pas de Noirs au supermarché local ou sur le trottoir, je me dis: je ne suis pas supposée être là. Quand je me rends dans une agence immobilière, je revêts un masque. Au début, ils espèrent une vente rapide. Ils vous montrent les maisons dont ils veulent se débarasser. Mais si vous insistez, et si vous êtes le "bon" type de personne, ils vous montrent celles qui viennent juste de rentrer, et quelque fois même des maisons qui ne sont pas encore sur le marché. Il y a des quartiers où même la plupart des Blancs ne sont pas supposés vivre. (P. 30)





Noire, la couleur de ma peau blanche,
un voyage intérieur
de Toi Derricotte (1997)
traduit de l'américain par Philippe Moreau
en français Edition du Felin (2000)
205 pages



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