10.3.12

Pôle Emploi dans le Viseur



Je ne vais pas me lancer dans une diatribe contre Pôle Emploi, ni vous annoncer que je vais me faire hara kiri devant un guichet après avoir passé des dizaines d'heures sur la plateforme du 3949.
Non, je vais faire dans la nuance, et vous résumer 2-3 lectures que j'ai faites et qui me donnent envie de donner une grande tape dans l'épaule de mon propre conseiller Pôle Emploi!




Pôle Emploi dans la tourmente
L'union des Assedics et de feu Agence Nationale pour l'Emploi s'est faite en grande pompes médiatiques. Mais l'avorton accouché, le fameux Pôle Emploi, a eu toutes les peines du monde à convaincre, en premier lieu, les personnes censées le défendre bec et ongles, à savoir les conseillers Pôle Emploi.

Affublés d'une nouvelle dénomination, de missions plus ou moins floues et nouvelles, ils ont été placés en porte à faux dès le début. C'est ce que j'ai compris en voyant un reportage très intéressant sur le sujet, il y a près d'un an sur France 2:
Pôle Emploi, une fusion sous pression
dont voici ici la 1er partie

Reportage sur Youtube en 4 parties

Argumentaire sur le site d'ENVOYE SPECIAL

Un reportage de Hugo Plagnard et Christophe Kenck
Elles étaient deux mais il ne devait en rester qu’une. ANPE et ASSEDIC, deux organisations au service des chômeurs, une de trop selon Nicolas Sarkozy.
Son objectif : créer un service public capable à la fois d’aider les chômeurs à retrouver du travail et gérer leur dossier d’indemnisation. Mais l’idée a été lancée avant sur la crise et l’explosion des statistiques du chômage. Avec 500 000 demandeurs d’emplois supplémentaires recensés par Pôle Emploi en 2009, le guichet unique censé faciliter leur vie est encore loin de tenir ses promesses. Retards de traitement des demandes d’allocation, dossiers perdus, agents débordés par le nombre de personnes à suivre, fusion rime avec confusion....

Ce reportage glaçait un peu le sang, mais permettait d'humaniser et de dédiaboliser les conseillers de l'ombre et les voix du 3949, dont on a parfois l'impression qu'ils nous prennent vraiment pour des c....

Il y a peu je me suis de nouveau plongée dans l'univers kafkaïen de Pôle Emploi où frustration, détresse humaine et empathie se croisent et s'entrecroisent indéfiniment. J'ai donc lu avec attention, et dans cet ordre (cette précision a toute son importance):

Confession d'une taupe à Pole Emploi, de Gaël Guiselon et Aude Rossigneux
183 jours dans la barbarie ordinaire, En CDD chez Pôle Emploi, de Marion Bergeron

Confession d'une taupe à Pôle Emploi
ou Un pêcheur sachant débusquer l'absurdité


Ce livre a été écrit à 4 main par Gaël Guiselin, je l'appelerais GG (nom d'emprunt, car il ne tenait pas à être démasqué par sa hiérachie) et Aude Rossigneux, journaliste de son état.
Quatrième de couverture


Et si Pôle emploi empêchait de retrouver du travail ? Alors que la crise économique a fait exploser le compteur du chômage, rien ne va plus. Agents débordés, déprimés, manque d’information et de formation, culte de la rentabilité et privatisation des missions : la fusion ANPE-Assédic est très difficile.


Le leitmotiv ? Faire du chiffre. Temps réduit pour chaque demandeur d’emploi, radiation pour des broutilles… [...]


Ce livre est un réel vade mecum indispensable à toute personne percluse de préjugés sur Pôle Emploi ou futur chômeur. En le lisant, on passe réellement du sourire, au rire jaune, tellement certaines des anecdotes dépeintes flirtent avec l'absurde!GG connait bien les murs ayant été intégré à l'ANPE, sur concours, avant la fusion. Il a donc vu les services et missions de l'organisme public se déliter peu à peu, au profit d'une rationalisation aberante des gestions de flux humains (inscription, radiation à tour de bras, pour faire du chiffre, placement sans lien avec les aspirations ou projet professionnel des personnes suivies)...

Il met le doigt sur une triste réalité: les personnes de l'autre côté du guichet sont tout autant désemparées que nous,  face aux réformes, aux sigles, au jargon, précarisées et ballotées d'une logique à l'autre, au gré des gouvernements et des politiques d'accompagnement à l'emploi ficelées sur un coin de table en haut lieu...La rationalisation mathématique règne en dépit du bon sens...

Florilège de phrases qui m'ont touchée:
"Je viens parce que j'y suis obligée, mais je sais très bien que vous ne me trouverez pas de boulot". Bienvenue dans le monde merveilleux des chômeurs. Voilà la 1ere phrase que j'ai entendue avec ma première chômeuse. C'était il y a 7 ans. Aujourd'hui, les populations qui défilent dans les agences sont davantages fragilisées et encore plus désabusées."
Ecrire pour rappeler que la précarité, nous aussi la connaissons. Et que lorsqu'un demandeur en entretien s'exclame " Ah non, cette annonce, ça ne vas pas aller! Vous avez vu le salaire? Vous travailleriez vous pour une somme pareille?, la réponse est oui. Avoir un bac+ 6, et sept en d'ancienneté, je touche 1370€ net par mois. 
Le chômeur coupable et fainéant, c'est un mythe vulgaire que nous, agents, refusons de colporter. De même le fonctionnaire borné, bête et discipliné qui nourrit les fantasmes des amateurs de poujadisme démagogique reste une anomalie, à défaut d'être une légende urbaine.

Beaucoup [d'employeurs] comptent sur leurs réseau et le bouche-à-oreille. Ainsi, dans certains secteurs, Pôle Emploi propose à peine 2% des offres d'emplois. La majorité se trouve sur le marché dit "caché, ou est diffusé sur d'autres supports du marché ouvert (presse spécialisée, agences d'interim). Bien des chômeurs le savent et n'attendent rien de nous.
Cette dernière phrase a vraiment fait mouche pour moi, car quand je vois le peu d'offres dans le secteur professionnel que je vise, je me dis que c'est vraiment démoralisant! En même temps, je me souviens que lorsque je travaillais dans le secteur de l'insertion, j'avais lu dans des docs officiels que pôle emploi ne drainait que 30% des offres d'emploi au niveau global....Réseauter, réseauter, voilà la clef!

J'ai vraiment beaucoup aimé le ton employé, qui n'est jamais complaisant, et qui ne tend pas à glorifier outre mesure les agents PE. Pour eux comme pour nous, en ces temps de crise, c'est le règne de la débrouille, des  accomodements avec le règlement et la rigidité du système, la pression et parfois les craquages. Il est écrit est beaucoup de finesse et se dévore à toute vitesse...je crois l'avoir lu en moins de 2 jours...J'ai aimé le découpage des chapitres du livre, qui expose chaque facette du problème:

  • Le Malaise
  • La Fusion
  • La Machine à Radier
  • Tous fraudeurs?
  • Le grand n'importe quoi
  • Petit lexique à l'égard du demandeur d'emploi ( le grand plus, il m'a permis de comprendre un peu mieux le jargon...d'ailleurs, je l'ai photocopié)
On sort de ce livre, en se disant qu'il est imparfait, mais qu'il a le mérite d'exister, et qu'au lieu de voir Pôle Emploi comme une puissance coercitive, il vaudrait mieux le prendre comme un organisme de protection (toute relative) qui empêchent certains de plonger dans l'inactivité, l'apathie, le dénuement...

Je serais plus concise quant à son homologue, qui bien que traitant du même univers, ne le le fait pas du tout avec les mêmes lunettes, la même optique...

crédits photos, blog mes goûts, et mes couleurs


En CDD chez Pôle Emploi
ou comment faire une dépression ou devenir un animal grâce à Pôle Emploi


Ici, Marion Bergeron relate ses mésaventures dans l'univers des chômeurs. J'avais vu la demoiselle sur le plateau de Ruquier, défendre son pavé face à Naulleau et Zemmour, et me rapelle m'être dit qu'elle était particulièrement exaspérante.



Cette impression ne s'est pas démentie au cours de la lecture, tout du moins ses débuts.

La miss, graphiste de profession est catapultée dans la machine de guerre, un peu par erreur. Elle se prend à croiser la faune des fonctionnaires, les demandeurs abrutis, mal pôlis, mal dégrossis, qui viennent vociférer leurs doléances et récriminations sur elle au guichet d'acceuil.
On sent la victimisation.

Mais au delà de ça, c'est aussi et surtout parce que ce livre est un livre témoignage, et surtout un livre cathartique, qui, me semble-t il, a permis à l'auteur de retrouver confiance en elle, et de ramasser les débris de sa conception idéaliste du travail, du salariat, des rapports humains, de se dire qu'elle pouvait encore être utile aux autres.
Je ne veux pas dire qu'elle est niaise. Bien au contraire. Mais sa posture de départ m'a initialement beaucoup irritée, et je trouvais qu'elle faisait preuve de beaucoup d'insensibilité et de mépris à l'égard des demandeurs d'emploi et de ses collègues (les passages où elle sent un abyme se creuser entre elle et ses collègues, qui regardent TF1 et vont au foot, m'a fait doucement rigoler...il me faisait penser à certains de mes amis).

Mais j'ai du réviser mon jugement, pour me rendre compte que son témoignage est finalement plus nuancé.

Son attitude est en fait, on ne peut plus humaine, et n'est que l'effet miroir d'une hiérarchie - ou plutôt d'un système- qui méprise ses agents, et les demandeurs (enfin les "clients") qu'ils ont en face d'eux. On   demande aux agents d'abattre une somme de travail colossale, qui n'est absolument pas compatible avec un "accompagnement personnel et individualisé" dont la communication de Pôle Emploi se targue pourtant. Marion Bergeron essaie à son échelle de lutter contre le système, ce qui l'amène au burn out, à l'épuisement psychologique devant une situation, une posture à adopter qui la dépasse.
Ça parait assez ahurissant alors qu'elle n'est en CDD que pour 6 ou 8 mois...on se demande comment font ceux qui sont là depuis des années....

Son témoignage, qui s'attache à dépeindre le quotidien d'une agence de banlieue parisienne, est tout de même très intéressant. Marion B. expose en effet son quotidien au moment de la fusion, et les anecdotes relatées sont pour le moins épique. Rien n'est réellement préparé, anticipé, fait pour réellement faciliter le quotidien des chômeurs ou des agents....A commencer par l'absence totale de formation. Alors que les conseillers ancienne formule bénéficiaient de plusieurs mois de stage et de formation, aujourd'hui, les  p'tits nouveaux doivent se contenter d'une indigeste et inutile formation (qui plus est, bien après le début des hostilités)...

Violence physique, violence morale, absurdité, monotonie, burn-out, impuissance, idéalisme, mépris, suicide, jargon, souffrance, nomadisme, système D, pauvreté et précarité, flicage, et parfois solidarité viennent colorer le témoignage de cette jeune et temporaire agent de Pôle Emploi.

La faune du Pôle Emploi




crédits photos blog tout ce qui m'énerve

Il y a beaucoup de monde perdu, qui atterit là, en quête de salaire, de travail et de reconnaissance...Et cette joyeuse faune est peuplée :


  • de personnes d'origine étrangère ne maîtrisant pas les rudiments du français ou des mathématiques, forcément handicapée dans les recherches d'emploi, 
  • de bons français de souche qui ont oublié leurs bonnes manières ou qui n'en ont jamais eues, et qui se montrent d'un incivisme et d'une connerie sans bornes...
  • ceux pour qui internet pourrait être une marque de lessive et  à qui on demande de mettre à jour un profil Pôle Emploi et de répondre à des candidatures via ce support
  • ceux qui n'ont pas de qualification et pas d'expérience, auxquels aucun employeur ne veut donner sa chance,
  • ceux bardés de diplômes (réels ou fantasmés) atypiques, ayant des aspirations incroyablement éloignées du marché du travail,
  • ceux qui élèvent seul(e)s leur famille, et pour lesquels les aides sociales sont une infamie, et qui ont envie de se battre pour leur marmaille
  • ceux qui n'ont pas la tête de l'emploi, pas le bon nom, pas la bonne adresse
  • ceux qui ne savent pas ou plus ce qu'ils veulent, qui doutent d'eux-mêmes de leurs compétences, et ne savent pas ce qu'ils pourraient faire...


J'ai été happée par ce livre, j'ai eu le sentiment de plonger en eaux troubles et marécageuses. Il m'a parfois donné envie de balancer sur son auteur, un bon coup de gourdin, car elle me semblait être un cliché bobo parisien, sur sa conception du salariat. Mais j'ai vite rangé mon gourdin, et me suis imaginé partageant avec elle le calumet de la pain ou une pâtisserie orientale. De page en page, je comprenais que d'une certaine façon, j'aurais été tout aussi frustrée, laminée et découragée par l'ambiance et l'atmosphère irrespirable de cette agence-là.

Je me suis aussi dit que Marion B. n'était peut-être ni plus ni moins qu'une personne de la génération Y, ambitieuse, diplômée, abreuvée de l'idée selon laquelle l'épanouissement passe par le travail, et que rien de grand ne s'est écrit ni fait sans passion...Une génération, qui diplôme en poche, se heurte à la méfiance de certains, à la défiance d'autres, qui n'a pas les codes du marché de l'emploi... Une génération, qui ramasse sa vision idéaliste du travail, à la petite cuillère, après quelques années d'activité....

Je suis peut-être de la génération Y....

Et ce livre, si vous n'allez pas très bien...et bien, passez votre chemin, je vous recommande plutôt le livre de Gael Guiselin.

Quoi qu'il en soit, je vous recommande de lire un de ces livres voire les 2, si vous vous désespérez devant le de site Pôle Emploi, en êtes à XXX mois de chômage et vous dites que vous n'y arriverez jamais...Il y a toujours situation bien pire...Et l'emploi n'est pas forcément sur le fameux site de  Pôle Emploi...

Et vous? Avez-vous lu ces 2 bouquins?
Avez-vous connu des déboires avec le club de Pôle/Paul? Etes-vous déjà tombé(es) sur un conseiller humain?



Confession d'une taupe à Pole Emploi, de Gaël Guiselon et Aude Rossigneux
Edition Calman Lévy, 2012
133 pages


183 jours dans la barbarie ordinaire, En CDD chez Pôle Emploi, de Marion Bergeron
Edition Plon Témoignage
237 pages


1 commentaire:

  1. Excellentes revue, excellent post ! J'ai envie de lire les 2 du coup ! Et j'ai bien peur de me reconnaître en Marion B parce que forcément j'ai une vingtaine d'années et tout pleins d'illusions sur le monde du travail qui sont en train de se fracasser les unes après les autres... Vive le nouveau millénaire !

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