Le piège de la Télé

Vous n'êtes pas sans savoir que j'ai été hospitalisée quelques jours, en raison d'un dos récalcitrant à toute forme de guérison rapide.

J'ai donc eu beaucoup de temps à tuer. J'ai mis à profit ce dernier, pour, outre me regarder le nombril - et constater que l'amas graisseux qui séparait ma poitrine de mon bas ventre rendait sa contemplation de plus en plus périlleuse sans un décollement de cou- écumer la bibliothèque de l'hôpital, passer au rayon X les quelques ouvrages que m'ont amenés quelques amis, et succomber aux sirènes de... la télévision.

ô râge, ô désespoir...oh, envie d'un trompe l'ennui!

Pendant les premières semaines de ma remise sur pied, j'ai oscillé entre consultation frénétique de billets et sites internet en tous genres traitant du thème de la hernie discale et des risques opératoires, ainsi qu'entre lectures de magazines féminins plus creux les uns que les autres et zapping intempestifs grâce à cette chère box...

J'ai trompé l'ennui, comme j'ai pu....mais c'était sans compter sur l'indigence cathodique qu'allait me réserver l'hôpital, en ne mettant à disposition que les 5/6 chaînes historiques, dont j'avais pourtant eu tout le temps de m'accommoder pendant mon enfance: 1, 2, 3 5 et 6 (et épisodiquement la 4 en clair).

C'est donc avec consternation, effroi et lassitude que j'ai vécu au rythme des sacro-saintes émissions dites de divertissement, des informations nébuleuses sur l'arrestation puis la mort de Ben Laden, de la téléréalité bas de gamme, des émissions lacrimales de france 2 et des shows culinaires à n'en plus finir.

J'ai eu l'impression de subir un lavage de cerveau en bonne et du forme.

Consomme, consomme, consomme...mange, mange, prends ta carte de crédit pour t'offrir ce matin abdo-rocket dégommeur de fessier et de bon sens sans quitter ton écran des yeux...mange, délecte toi de ces mets, aspire la bêtise crasse d'autrui. Repaîts toi des déconvenues des individus qui s'exposent au sein de télé crochet et télé-réalité...

Et puis, parfois au bon milieu de cette cacophonie, des émissions émergent et viennent sauver les meubles. Citons pêle-mêle:

- Global- Mag sur Arte, du Lundi au Vendredi à 19h30

Surfant habilement sur la vague politiquement correcte du "tout vert", faisant la part belle aux initiatives citoyennes et aux choix de vie presque borderlines, ou au contraire aux initiatives d'intégration de la thématique écologique dans les politiques publiques et la gestion du logement social

- le Magazine de la Santé, du Lundi au Vendredi à 12h30 sur France 5

Il passe au crible les questions des téléspectateurs sur leurs bobos imaginaires ou réels. On doit sa renommée aux saillies et verdeur des blagues de la part masculine du duo d'animateurs vedette (des coups d'oeil au Zapping de Canal Plus peuvent en attester)

- En Voyage, des échappées belles matinales (avant 7 heures du matin) en clair sur Canal Plus

Guy lemaire entraîne le spectateur au large, en Turquie, en Nouvelle Calédonie, et j'en passe....Comme mon lit d'hôpital m'a paru léger à ce moment-là!

Et mon grand coup de couleur, va à l'encontre de ces émissions culinaires sans queue ni-tête qui portent aux nues des néophytes, des apprentis, des imcompétents:

Top Chefs, MastersChefs, 100% Mag et son quart d'heure culinairo-vaseux, Un cauchemard dans votre cuisine....

Je ne sais pas si c'est le fait de n'avoir pas pu manger à ma convenance pendant plusieurs semaines, et si c'est le fait d'avoir eu à faire face à mon attitude autodestructrice par rapport à la nourriture qui m'a fait prendre conscience de ce fait avec plus de vigueur, mais j'ai comme qui dirait l'impression que dans la tête de nos patrons de chaînes et divers annonceurs, la" cuisine", les" mets", le "terroir" est presque devenu le nouvel eldorado pornographico-visuel...C'est vrai, après tout, en temps de crise économique et social, pourquoi mettre autant en avant des personnes qui font bombance? Pourquoi faire s'opposer des cuisiniers auxquels on proposent d'éxecuter des plats à plusieurs mètres au dessus du sol? Pourquoi scénariser à ce point, et faire se mettre en concurrence des inconnus dans un moment de convivialité factice? Et à l'inverse pourquoi demander à des candidats d'avaler des insectes et autres mets peu ragoutants dans des émissions de dépassement de soi, et de challenge...tout ça pour quelques euros de plus?

Je ne me plierais pas au jeu de la morale...ces questions pour moi restent en suspens...Mais je pense  qu'un gargantua aurait été bien décontenancé devant tant de fastes et tant d'artifices autour des plaisirs de bouche, et que l'élégance du hérisson de Barbery aurait bien pâli devant tant de miasmes télévisuels...

Edit: Pendant mon adolescence, j'ai "dévoré" et me suis délecté d'un grand nombre de romans et d'essais en tous genres, puis étudiante, me suis refusée d'avoir une télévision dans mon majesteux 9m2...je crois que c'est d'une certaine façon, ce qui m'a sauvé...Je ne remercierai jamais assez non plus ma mère, qui, un jour, comprenant les attraits qu'exerçaient sur moi les émissions enfantines du mercredi après-midi, au point de me faire me détourner de mes devoirs, a caché un jour le cordon d'alimentation reliant la télé à la péritel...

Je me souviens encore du profond sentiment d'injustice que j'avais ressenti il y a près de 20 ans...mais aujourd'hui, je sais qu'elle n'a fait que me sauver et m'ouvrir vers de nouveaux horizons...la liberté de lire et d'imaginer

                          

Muriel Barbery, l'élégance du hérisson

Muriel Barbery, Une gourmandise

Rebelais, Gargantua

Proust, A la recherche du temps perdu

 crédits photos: Bibliothèque de La Ferté Alais