La nouvelle est tombée la semaine dernière. Enfin...si on peut appeler ça une nouvelle:
1 français sur 7 vit en dessous du seuil de pauvreté en France
selon la dernière enquête “Revenus fiscaux et sociaux” de l’Insee . Cela représenterait pas moins de 8,2 millions de personnes dans cette situation.
Les sempiternelles plaintes qu'on entend à tous les coins de rue, dans les hypermarchés, à la terrasse des bistrots sont donc fondées: les gens s'appauvrissent, et ce qu'on prend généralement pour des atermoiements ("depuis l'euro, ils nous ont bien eus!" "la vie est de plus en plus chère!") ne sont en fait que de pâles reflets de la réalité.
Si vous habitez en ville (ville moyenne ou grande de Province et encore plus à Paris), vous avez bien du constater que les personnes se livrant à la mendicité étaient de plus en plus nombreuses. Elles ont également des visages de plus en plus différents: autrefois une population majoritairement masculine et fortement alcoolisé vous toisait pour avoir quelques centimes. Aujourd'hui, hommes, femmes, jeunes et beaucoup jeunes se disputent des pans de trottoirs. Le cliché du clochard ne tient plus. J'ai même vu l'année dernière, une jeune femme en niqab, tendant péniblement la main. Chose, a priori impensable, il y a une dizaine d'années.
- Le seuil de pauvreté, comme objet d'études
Au début de l'été, j'ai lu 7 millions de Pauvres, la face cachée des Temps modernes de Jacques Cotta. Oui, vous avez bien lu "7 millions". L'ouvrage était paru en 2006 et à ce moment là, plus de 7 millions de salariés percevaient un salaire inférieur à 722€/mois et étaient de fait considérés selon des critères toujours établis par l'INSEE comme "pauvres".
Aujourd'hui, on s'aperçoit que le salaire mensuel de référence utilisé par l'INSEE est légèrement supérieur et est de 795 ou 945 € selon le critère retenu (seuil à 50% ou à 60% du niveau de revenu médian).
Il s'agit en fait,
[du] “revenu disponible”, calculé après impôts et prestations sociales.
Ce revenu est le plus bas (comparé au coût de la vie) depuis 2000. Les personnes touchées par la crise ont été profondément atteintes, mais on a parfois du mal à le mesurer à en croire les obscénités monétaires et le luxe dont se pare certains programmes télévisés.
Si le coeur vous en dit, je vous invite à plonger dans l'ouvrage de Jacques Cotta, journaliste et producteur, qui a notamment collaboré à la réalisation de reportages diffusés au cours de l'émission "Envoyé Spécial". Même si l'ouvrage pêche par son manque d'analyse approfondie et des raccourcis un peu faciles (voir par exemple le traitement du chiffre du chômage où par un tour de passe passe incluant la fonction publique, il réhausse le taux officiel de 10 à plus de 22%, p. 40-41), sa lecture est malgré tout intéressante. Elle amène le lecteur à s'interroger sur les nouveaux visages de la pauvreté actuelle, qu'il côtoie pourtant quotidiennement, mais qu'il finit par ne plus voir. Cette enquête met en évidence ce qui peut paraître un truisme lorsqu'il s'agit d'évoquer la pauvreté en Afrique, mais qui semble plus dérangeant lorsqu'il s'agit de l'Hexagone:
"La Pauvreté, la misère sont un business"
Il nous emmène sur les traces du charity business à la française, où travailleurs sociaux, associations et fondations oeuvrent pour porter main forte aux plus démunis, dans un mouvement assez ambivalent. (Je t'aide, mais si tu parviens réellement à t'en sortir, je scie la branche sur laquelle je suis assis et je m'ôte le pain de la bouche). De fait, parmi celles et ceux qui aident, bon nombre ne roulent pas sur l'or et sont eux-mêmes des travailleurs pauvres, qu'une centaine d'euro à peine séparent parfois des personnes secourues.
J'ai trouvé très digne et très humain le traitement que l'auteur apportait aux portraits des différents personnages qui peuplent la clique du "bataillon des invisibles". Le pauvre, ce n'est pas forcément celui qui mendie, ou qui travaille à l' usine à s'en rompre l'échine pour un salaire de misère, c'est aussi celui ou plutôt celle qui fait tout pour maintenir un semblant d'ordre au sein de la famille.
Les femmes, je l'ai appris ici, constituent en fait une grande partie des travailleurs pauvres. Au début du siècle, alors que près de 17% des travailleurs sont considérés comme pauvres, ce taux passe à 29% si on ne s'intéresse qu'à la population des femmes.( p. 57).
J'ai été sidérée et un peu mal à l'aise lorsque l'auteur apporte un certain nombre de précision en note de bas de page:
[Les femmes] occupent 82% des emplois à temps partiels. (Le temps partiel occupe 30% des femmes actives, soit 3 250 000 femmes contre seulement 5 % des hommes) Le taux de chômage officiel des femmes est de 10,6 % soit plus de 2 points par rapport à la population masculine. Parmi les jeunes femmes, elles sont près de 23% à souffrir de la nouvelle pauvreté, alors que leurs homologues masculins sont 18%. Elles sont très souvent employées en CDD et en contrat aidé.
Et surtout: Entre la moitié et les deux tiers des femmes qui travaillent et qui touchent moins de 750€/mois vivent seules ou avec un conjoint au chômage.
" En moyenne, après leurs études, les femmes connaissent sept ans d'inactivité, contre quatre pour les hommes, avant de trouver un travail même occasionnel".
Alors bien sûr, me direz-vous certaines s'empressent de faire un enfant à la fin de leur diplôme ou dès qu'elles ont une relation sentimentale stable, mais cela n'explique pas tout. Pour preuve le nombre croissant de nullipares. Ni même pourquoi en moyenne les femmes touchent des retraites presque 50 % inférieures à celles des hommes (p. 59).
Cela ne m'a pas laissé d'espoir pour mon propre cas, puisque je suis à l'heure actuelle en reconversion professionnelle, avec l'aide de Pôle Emploi. C'est ma première période d'inactivité depuis l'obtention de mes diplômes, et j'avoue avoir un peu de mal (comme beaucoup) à voir l'avenir sereinement. Et à me dire que je pourrais prétendre à autre chose qu'un smic dans ma future rémunération.
J'ai d'autant plus de mal à me montrer optimiste que dans le livre de Cotta les nouveaux pauvres sont tout autant des travailleurs immigrés, que des enfants d'immigrés, des personnes surdiplomées ou sorties du système scolaire sans qualification, des artisans ou des précaires qui jonglent avec 2-3-4 employeurs pour parvenir péniblement à joindre les 2 bouts.
Si vous voulez vous faire peur, ou esayez de comprendre quels sont ces pauvres dont nous avreuvent à tour de bras les statistiques, je vous conseille vivement la lecture de cet ouvrage.
Sept millions de travailleurs pauvres, La Face Cachée des temps modernes,
Jacques Cotta
Edition Fayard, 2006
301 pages
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