crédit photos: Allociné
Vous n'êtes pas sans savoir que le film Intouchables bat des records d'audience en terme de spectateurs en Europe. Après avoir ravi des millions de français, attirés par le bouche-à-oreille à se glisser dans les salles obscures , il séduit nos voisins outre-Rhin et nos frontaliers ibériques.
Le succès du film a quelque chose de touchant, et d'un tantinet irrationnel. Il devance notamment en terme de fréquentation des films de longue date établis comme "La Grande Vadrouille". Il semble répondre à un besoin de légèreté et d'humanisme de personnes aux goûts, aux moeurs, aux classes sociales toutes différentes. La promotion qui a accompagné le film y est sans doute pour beaucoup, et je pense qu'il est indéniable que le succès du long métrage doit énormément à la performance et au jeu d'Omar Sy.....
Pour ma part, le film m'a arrché quelques larmes, et m'a fait pouffer à deux ou trois reprises, mais je n'ai pas partagé l'engouement de beaucoup.
Peut-être parce que je n'aime pas le Service Après Vente dans lequel il officie depuis près de 7 ans. Et probablement aussi parce que j'avais la facheuse impression qu'Omar ne jouait pas vraiment, qu'il ne se livrait pas tellement en tant qu'acteur, mais qu'il flirtait habilement avec tous les personnages endossés dans le SAV et qu'il en donnait toute la quintessence dans le personnage d'Abdel...
Le film me laissait un certain goût d'inachevé, et d'inaccompli.
Je me suis dit récemment qu'on devait aussi aller sacrément mal, pour avoir besoin de se raccrocher à ce point à ce film, et en faire l'emblème de la France du respect et de la réconciliation (dixit François Cluset dans l'émission du 8 février 2012 du Grand Journal).
Le film, à mon sens, verse trop dans le pathos, et charrie bon nombre de clichés.... Où diable est la réconciliation? Est ce que le fait de se voir conforter dans certains préjugés apporte une réconciliation? Est ce que de voir qu'il y a une France qui galère économiquement, et une qui se dépêtre d'une grande solitude sociale est une forme de réconciliation et d'apaisement? Le fait de pouvoir dire qu'on peut rire de tout et de nous même est-il un pas en avant?
Le fait, comme le note judicieusement l'auteur du blog Le Sens des Images, que le film développe une vision d'un personnage noir instrumentalisé par un supérieur caucasion n'a de prime abord pas choqué grand monde en France. Il a fallu attendre le tollé provoqué par des critiques américaines, pour que la grille de lecture du film évolue.
D’ailleurs Intouchables rappelle à certains égards un film comme le Joujou (The Toy, R. Donner, 1982) – remake américain du Jouet avec Pierre Richard - dans lequel un milliardaire offrait à son fils capricieux en guise de nouveau jouet un journaliste noir au chômage (interprété par Richard Pryor) qui allait devenir le souffre-douleur puis le meilleur ami du petit monstre de neuf ans.. Il va sans dire qu’à sa sortie le film fut copieusement critiqué pour son histoire « d’esclavage moderne ».
Bien évidemment, taxer ce film de racisme pur et dur est d'une connerie monumentale...La relation NOIR/BLANC n'est qu'un des noeuds du film. Il y est aussi question d'exclusion en général, du rapport entre le normal, et l'anormal, entre le valide et l'handicapé, de collusion jeune/vieux.
Mais le fait que si peu de critiques se soient levées initialement en France est assez symptomatique de la vision des uns et des autres, blancs tout comme noirs, et de notre rapport encore très sensible à "la représentation du Noir".
Pour ma part, j'y suis plus que sensible, et je ne saurai que trop recommander la lecture d'ouvrages, de bouquins, d'études qui permettent de se détacher des préjugés et pré-notions et de prendre un peu de hauteur.
- Colbert, Le Code Noir, 1685
- Frantz Fanon, Peau Noire, Masques Blancs, 1952
- Jean-Paul Sartre, Orphée Noir, 1949
- Pap Ndiaye, La Condition Noire, Essai sur une minorité française, 2008
- François Xavier Verschave, La Françafrique, 1998
- John Griffin, Dans la Peau d'un Noir, 1962
- Stephen Smith, Négrologie, Pourquoi l'Afrique Meurt, 2004 et la réponse collective portée notamment par Boubacar Boris Diop, Negrophobie, 2005
Ces dernières semaines entre" l'affaire" vaseuse du Elle et de la Blackgeoisie, le retour sur le devant de la scène de l'affaire Guerlain, les dérapages contrôlés de Guéant, "les nounous noires et les bébés blancs, j'ai bien du mal à croire à la réconciliation imminente, et j'ai un peu le tournis...Je me dis qu'il y a encore beaucoup de travail à fournir et de préjugés à débusquer et à laminer.
Je n'ai pas envie de me transformer en chantre de la cause Noire.
Il n'y a pas de cause noire, il n'y a qu'une somme d'individus, aux pensées et contours flous pour ceux qui ne savent pas voir.
Quand TF1 nous gratifie d'un reportage sur les "Reste-Avec", ces enfants esclaves en Haiti, traités avec tant d'inhumanité et de mépris par leurs semblables noirs, d'autres Haïtiens mieux lotis, on se dit que l'aveuglement, la vilenie et les coups bas n'ont tristement pas de couleurs. La connerie ou la suprématie présumée des uns ou des autres ne se mesure pas à un taux de mélanine.
Tout n'est qu'affaire d'éducation, de regard, de contextualisation historique et de positionnement par rapport à la Grande Histoire et à son histoire personnelle.
Il me semble que l'on pose, avec la "question noire", de faux problèmes, et qu'à la base de tout ça, il est surtout question de rapports de force économiques et financiers et d'ethnocentrisme....
Je pense que le roumain qui s'acharne à astiquer mon pare-brise par moins 10°C, l'auvergnat aviné emmitouflé dans des couvertures aux portes de mon supermarché, la jeune femme SDF, qui à cette heure n'a pas réussi à trouver de place en centre d'hébergement d'urgence, et qui zone en ville, ces gens-là n'en ont un peu rien à foutre de ces problèmes de couleurs. Ils ont d'autres chats à fouetter!
En débutant ce billet, je ne pensais pas qu'il me conduirait à écrire ces lignes. Ma conclusion est un peu lapidaire. Ça mériterait des débats, des discussions, des échanges...Je ne pense pas qu'on puisse évacuer le malaise que peuvent ressentir des personnes de couleurs différentes ( beiges, marrons, safran et ocre jaune) à l'évocation du mot racisme, par un simple billet de 5000 signes.
Il me semble qu'il me faudra encore un peu plus lire, pour prendre plus de recul, et vivre plus sereinement ces histoires de couleurs et de représentations.
Et vous, blancs, maghrébins, asiatiques ou noirs, qu'en pensez-vous?
Si vous voulez en savoir plus sur la représentation des Noirs en France, je vous conseille la série documentaire du magazine la Case du Siècle de France 5 consacrée à la question. La bloggeuse Blacknote en fait un bon résumé
Prochain épisode Dimanche 12 février, 22h 04
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